Folklore

Les hirèyes

Les hirèyes font partie d’une tradition implantée dans nos régions depuis la nuit des temps : celle des feux.

Ceux-ci peuvent être classés en différentes catégories : les grands et petits feux, les feux fixes et les feux mobiles, les feux cycliques ou non, etc…

Dans cette classification, les hirèyes ou “petits feux” sont des feux fixes et cycliques liés ici au cycle de Carnaval – Carême, ainsi que les grands feux auxquels elles se trouvent associées comme nous le verrons ci-après.

Pourquoi “petits feux” ?

Surtout en raison du nombre peu important de protagonistes qui assistent à la réjouissance. En effet, la hirèye est d’abord un feu que l’on allume devant chez soi.

Chaque maisonnée confectionnait son petit feu, celui-ci pouvant se composer d’un simple fagot ou même d’une botte de paille.

La hirèye avait lieu le jour du Mardi gras. Elle préfigurait le grand feu à venir (se déroulant habituellement le dimanche de la Quadragésime, c’est-à-dire le dimanche qui suit le Mardi gras, premier dimanche de Carême).

Ce jour-là, donc, dans différents villages, on allume de petits feux nommés selon la région hirèyes (ou hirêyes), hirâdes ou churôdes.

Les jours gras sont l’occasion pour les chrétiens de faire bombance avant la période de restrictions qu’est le Carême. L’appellation des petits feux viendrait de là : la hirâde ou churôde serait donc la “déchirarde”, la hirèye correspondrait à la “déchirée”, on aurait mangé à “s’en déchirer le ventre”. A Sprimont, hirèye signifie “bon repas, gueuleton” tandis que hirâ, mot de la même famille est employé à Stavelot pour “bombance”.

Le Mardi gras est le jour où l’on fête saint Hirâ et saint Pansâ (Hirard et Pansard), saints des grandes ripailles inventés par la tradition populaire et opposés à saint Djunâ et saint Afamâ (mercredi des Cendres).

On ne peut que remarquer la similitude entre le nom du premier saint et le nom hirârde ou hirèye.

Parallèlement aux petits feux allumés dans chaque maison, ce qui était d’ailleurs le cas à Hoursinne, cette coutume voyait parfois aussi la confection d’un seul feu par hameau.

Ce jour-là, on faisait des quêtes de combustible et, plus rarement, de nourriture. C’étaient les enfants qui allaient ramasser le bois, branchages et débris de tontes de haies (par contre, ce seront les jeunes qui s’occuperont du grand feu).

A cette occasion, différentes formules étaient employées. Par exemple, à Erezée (ici, on peut distinguer un jugement, une accusation d’avarice) :

Al hirèye                                                         A la hirèye

Pèlèye madame !                                               Dame avare !

A grand feu                                                     Au grand feu

Pèlé monsyeû                                                    Monsieur avare !

Quand le bois s’enflammait, les enfants et, quelquefois, les adultes entonnaient divers chansons ou cris (qui variaient suivant l’endroit). Comme, par exemple :

Al hirâde                                              A la hirâde

Hinri qu’èst malâde !                             Henri qui est malade !

A grand feu                                          Au grand feu

Hinri qu’èst djoyeûs !                            Henri qui est joyeux !

A Durbuy :

Al hirèye                                                A la hirèye

Madame d’Enèye                                     Madame d’Enneilles

A grand feu                                            Au grand feu

Moncheû d’Oneux                                   Monsieur d’Oneux

A Amonines :

Al hirâde                                                  A la hirâde

Po les malâdes                                          Pour les malades

A grand feu                                              Au grand feu

Po ls’amoureûs                                          Pour les amoureux

On sautait également par trois fois au-dessus des braises pour se préserver des maux de ventre pendant toute l’année. Par tradition, la coutume voulait que l’on mange, ce jour-là, du chou vert pour ne pas être dévoré des mouches l’été suivant. On “magne dèl crolèye djote po n’nin èsse magnî dès mohètes”. Tradition également présente à Hoursinne ainsi que me l’a confirmé René Collard. Mais, le plus souvent, ce sont les bêtes que l’on fait passer dans les cendres refroidies. Ceci les protégera des “coliques” ou, suivant la région, des problèmes aux pattes.

A Sprimont, on allumait trois petits feux aux coins du jardin qu’on parcourait en courant et en criant : “a rate, a rate” et les mulots devaient s’enfuir par le quatrième coin.

Ceci est à rapprocher d’une autre coutume qui, elle, n’a rien à voir avec le Mardi gras mais qui consistait, dans une ferme infestée par des rats, à lire l’Apocalypse de saint Jean à trois coins de la ferme en laissant libre celui par lequel on voulait voir s’enfuir les rongeurs.

A Ferrières ( au Herlot, au Thier, …) “On allait ramasser le bois chez différentes personnes. Avant, beaucoup de gens avaient des prairies, on coupait les haies, on élaguait. Les enfants venaient donc prendre ces petits bois. Mais aucune quête de nourriture n’était organisée. Ce qui n’empêchait pas les enfants d’apprécier les friandises qu’on leur donnait dans certaines maisons”.

Un autre témoignage vient du Burnontige : “Les enfants allaient à droite à gauche chercher ces tas de branches que les gens coupaient parce qu’elles poussaient dans leur terrain. Le bûcher avait un tout autre aspect que maintenant : il était bien plus petit et était composé de branches d’épines. On ne savait pas faire un beau feu. Maintenant, avec les épicéas… tu sais, ils recouvrent tout pour que ça fasse un beau dôme”.

La hirèye ne fait plus partie de nos fêtes villageoises. Pourtant, avec le comité des fêtes d’Hoursinne, nous avons eu envie de la faire revivre sans forcément rechercher le même caractère qu’autrefois. Ce qui importe, c’est que de cette tradition nous puissions faire un moment convivial où chacun, autochtone ou pas, puisse se retrouver et nouer ces liens qui faisaient tout le charme et la force de nos villages d’autrefois.

Je voudrais, à ce sujet, citer Françoise Lempereur qui, dans son livre “Vingt coups de coeur pour un feu” nous dit ceci :

“… On ne peut fabriquer de toute pièce une vraie tradition mais on peut créer un fête dans l’esprit de la tradition, une fête qui, au fil des ans, prendra valeur de tradition, pour autant que ses acteurs soient dénués de toutes intentions commerciales…”

Je terminerai cette présentation succinte de la hirèye par des remerciements et un appel.

Remerciements à Charlotte Tromme de Ferrières, étudiante en anthropologie, qui a accepté de me laisser puiser dans son mémoire sur les grands feux la matière de cette petite présentation; à Pierre Colin du Burnontige, pour avoir partagé une partie de ses grandes connaissances dans le domaine des traditions et de l’histoire locale; à René Collard, pour tout ce qui concerne Hoursinne.

Un appel enfin et un grand merci d’avance à tous ceux et à toutes celles qui pourraient me fournir des renseignements complémentaires sur les hirèyes afin de pouvoir étoffer mes recherches sur le sujet.

 

Bibliographie :

DE WARSAGE (Rodolphe) – Calendrier populaire wallon. Histoire intime du peuple wallon – Bruxelles, éditions Libro-Sciences, 1988

DOPPAGNE (Albert) – Les grands feux – Gembloux, éditions J. Duculot, 1972

HENRY (rené) – Hier en Ourthe-Amblève. Réalités et mystères – Liège-Bressoux, éditions Dricot, 1991

LEMPEREUR (Françoise), and al. – Vingt coups de coeur pur un feu – Huy, édition réalisée à l’occasion du vingtième feu de la Saint-Jean du mont Falise, 1994


Jacques Wagener – février 2006

 

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