Faune et flore

Ils sont là !

Ça vous rappelle quelque chose ?

C’est par ce clin d’œil à une série télé que les moins de 20, 30 (?) ans ne peuvent pas connaître que l’aplovou débute ici une nouvelle série de billets dans lesquels il sera question d’espèces dites « invasives » présentes dans nos régions.

L’invité du jour :  le raton laveur.

_dsc5318© Martin Dellicour

Si Mario l’a vu (et il n’est plus le seul !), ça veut dire, qu’il est bien là, chez nous, à Hoursinne, en fait, dans presque toute la Région wallonne.

Mais commençons par le commencement.

Le raton laveur qui répond au doux nom scientifique de « Procyon lotor », Raccoon en anglais et Wasbeer en néerlandais est un mammifère de la famille des Procyonidés. Vous suivez ?

Mais oui : Procyonides vient du grec pro (avant, antérieur), kuôn (chien) et oïdes (qui a la forme de). Donc notre raton a la forme d’un procyon, c’est à dire d’un ancêtre du chien. Quant à lotor, ça vient du latin et signifie « qui lave ». Il suffisait d’y penser.

Notre raton est un voyageur (en grande partie malgré lui). Originaire d’Amérique du Nord, il a été importé en Allemagne et dans les Républiques de l’ex-URSS dans les années 30 pour sa fourrure.

Au bout d’un certain temps, ces élevages ne purent faire face à la concurrence américaine et, bien vite, des lâchers volontaires de ratons laveurs ont suivi ceux qui s’étaient échappés d’eux-mêmes.

Alors, les ratons laveurs que l’on rencontre actuellement proviennent de leurs ancêtres élevés pour leur fourrure ?

Oui, mais pas seulement.

A cela il faut ajouter aussi les ratons mascottes de l’armée américaine. C’est le cas notamment en France, dans l’Aisne ou une population a vu le jour suite à des lâchers (en 1966) d’une base militaire de l’OTAN (à Couvron). Cette population se porte bien, merci, puisqu’actuellement elle a débordé dans les départements voisins de l’Oise, de la Marne et des Ardennes. Des échappés de parcs animaliers et des abandons par des particuliers (animal de compagnie) viennent également compléter le tableau.

Et chez nous, où en est-on ?

Signalé pour la première fois en 1986, le raton laveur a bien colonisé nos régions. Vinciane Schokert de l’unité de zoogéographie de l’Ulg : « De quelques données de présence sporadique recensées avant les années 2000, on est passé à des observations régulières dans plusieurs bassins versants du sud du pays au cours des dernières années. Leur progression est constante d’est en ouest, là d’où est issu le front de colonisation »

Pour preuve de cette progression : les deux cartes ci-dessous. La première présente la situation d’après des relevés effectués entre 2006 et 2013, la suivante se base sur les derniers relevés disponibles.

carte-1 Ces données prennent en compte les observations visuelles d’individus vivants ou trouvés morts ainsi que les empreintes. Source des données: ULg- Natagora-DEMNA (2013). D’après V. Schockert (2013).

carte-2Sur trame UTM 5x5km.

Bref, il est là. De plus en plus d’observations le signalent en Wallonie.

Et si on essayait de mieux le connaître ?

_dsc6323© Martin Dellicour

De la taille d’un gros chat, il est aisément reconnaissable à son masque noir, son pelage grisâtre et sa queue annelée. Il pourrait parfois être confondu avec le chien viverrin mais celui-ci est plus gros avec une queue plus courte non annelée. (Voir ci-dessous).

 

chien_viverrinChien viverrin

Ses empreintes en forme de mains d’enfant sont aussi un indice facile à reconnaître indiquant sa présence. C’est un mammifère plantigrade dont les doigts flexibles permettent des manipulations délicates. Son poids varie de 2,4 à 7,9 kg selon les sexes mais aussi les régions, la plus ou moins grande disponibilité en nourriture et les conditions climatiques. Il mesure de 40 à 90 cm (tête et corps). Longueur de la queue : de 20 à 40 cm.

empreintes-ratonEmpreintes de raton laveur

Le raton laveur atteint sa maturité sexuelle entre 12 et 15 mois. La période de rut débute en janvier – février mais peut s’étendre jusqu’en août et la mise bas a lieu après une gestation de 63 jours. Le nombre de jeunes peut varier de 2 à 8 mais la moyenne se situe à un peu moins de 4.

Animal surtout nocturne et crépusculaire, le raton est plutôt un solitaire. Les groupes parfois rencontrés sont, le plus souvent, une femelle accompagnée des petits de l’année. Suivant le sexe, l’âge, la densité de population, la disponibilité de nourriture et la présence de gîtes possibles, leur domaine peut varier de quelques dizaines à quelques centaines d’hectares. On estime les densités de population entre 0,5 à 2 ratons par 100 ha en Europe contre 2 à 98 individus par 100 ha aux États-Unis.

_dsc6343© Martin Dellicour

Le raton laveur est, avant tout, un omnivore opportuniste. Son régime alimentaire va varier suivant les capacités du lieu, les saisons, les années. Il a une très grande adaptabilité quant aux ressources alimentaires disponibles : fruits, baies et graminées mais aussi invertébrés, insectes, crustacés ou vertébrés, amphibiens, rats, musaraignes, écureuils, œufs et oisillons. Il est aussi à l’aise sur le sol, dans l’eau que dans les arbres.

Ses habitats sont également variés et vont des marécages aux zones agricoles en passant par les forêts alluviales et les zones suburbaines. Chez nous, on le rencontre préférentiellement dans les fonds de vallées forestiers.

img_3241© Jacques Wagener

Son gîte peut être un ancien terrier de renard ou de blaireau, le dessous d’une souche, un arbre creux (de 3 à 12 m au-dessus du sol), une anfractuosité rocheuse, une grange, …)

Mais pourquoi « laveur » ?

Cela viendrait du fait qu’il lave sa nourriture avant de la consommer. Mais cette attitude n’est pas systématique. Le « lavage » n’interviendrait que lorsque la nourriture est près ou dans l’eau mais, en fait, vu leur sens du toucher très développés, les ratons ne feraient que manipuler, frotter et tâter cette nourriture avant de la consommer. L’immersion dans l’eau leur permettrait par contre d’acquérir une plus grande sensibilité dans les doigts.

D’autres avancent l’hypothèse que les glandes salivaires étant plus ou moins déficientes ils mouilleraient leur nourriture pour la mastiquer plus facilement. Le débat reste ouvert même si, pour le grand public, le raton laveur reste bien cet animal sympathique qui lave ses aliments avant de les consommer. Anthropomorphisme ?

Son adaptabilité quant à la nourriture et aux lieux qu’il colonise interroge la communauté scientifique sur l’impact négatif qu’il peut avoir sur la faune locale et les habitats. Pour l’instant, peu d’études ont été réalisées sur cette problématique. Etienne Branquart du forum sur les espèces invasives en Belgique : « Il a notamment un impact sur les batraciens et les oiseaux qui nichent au sol. Et, plus grave, sur les moules perlières qui sont déjà une espèce menacée en Belgique. Et nous pouvons penser que plus la population est importante, plus la prédation sera forte… Il y a des indices qui laissent croire à des dégâts importants dans les années à venir ».

De plus, le raton laveur est un vecteur important de la rage et d’autres maladies (leptospirose, tuberculose, listériose,…) et est aussi porteur d’un ver (Baylisascaris procyonis) qui peut se transmettre à l’homme et occasionner des altérations du système nerveux et des yeux surtout chez les jeunes enfants. En Allemagne, 70 à 80% des ratons laveurs examinés en sont porteurs.

raton_toit

Et, pour terminer ce tableau plutôt noir, il se sent tout-à-fait à l’aise dans les milieux urbanisés où il va fouiller les poubelles et même entrer dans les maisons pour y rechercher de la nourriture. Ce n’est pas (encore ?) le cas chez nous mais ça l’est en Allemagne, par exemple, qui abrite la plus grande population européenne de ratons laveurs.

Alors me direz-vous, que faire ?

Tout d’abord, les spécialistes sont d’accord pour dire qu’il est trop tard pour revenir en arrière. Le Conseil de l’Europe recommande son éradication. Depuis le 13 juillet de cette année, le raton laveur est repris dans la liste des « espèces exotiques envahissantes (*) préoccupantes pour l’Union (**) ».  Chez nous, il ne peut être détenu par des particuliers sauf dérogation et son tir est permis sous condition. Sont envisagés également le piégeage par cage appâtée ou la destruction au gîte notamment dans les vieux arbres creux.

Malgré tout cela, avouez qu’il a tout de même une « bonne bouille » !

_dsc6375© Martin Dellicour

Un grand merci à Martin pour ses magnifiques photos !

(*) une « espèce exotique envahissante » est une espèce exotique dont l’introduction ou la propagation s’est révélée constituer une menace pour la biodiversité et les services écosystémiques associés, ou avoir des effets néfastes sur la biodiversité et lesdits services.

(**)  Il y a lieu néanmoins d’inscrire ces espèces sur la liste de l’Union car d’autres mesures d’un bon rapport coût/efficacité peuvent être mises en œuvre pour éviter de nouvelles introductions ou la propagation sur le territoire de l’Union, pour encourager la détection précoce et l’éradication rapide de ces espèces-là où elles ne sont pas encore présentes ou ne sont pas encore largement répandues, et pour assurer leur gestion, selon les circonstances particulières des États membres concernés, y compris par la pêche, la chasse et la capture, ou par tout autre type de récolte en vue de la consommation ou de l’exportation desdites espèces, à condition que ces activités soient réalisées dans le cadre d’un programme de gestion national.

En cas d’observation de  raton laveur vivant ou mort, vous pouvez le signaler ici.

Pour aller plus loin :

Cellule  interdépartementale sur les espèces invasives

RÈGLEMENT (UE) No 1143/2014 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 22 octobre 2014 relatif à la prévention et à la gestion de l’introduction et de la propagation des espèces exotiques envahissantes

RÈGLEMENT D’EXÉCUTION (UE) 2016/1141 DE LA COMMISSION du 13 juillet 2016 adoptant une liste des espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour l’Union conformément au règlement (UE) no 1143/2014 du Parlement européen et du Conseil

Législation régionale (Chasse et pêche) ; circulaire 2688 (23/01/2007) : Régulation d’espèces animales non indigènes

Sources :

biodiversite.wallonie.be (1)

biodiversite.wallonie.be (2)

biodiversite.wallonie.be (3)

cr-ourthe.be

Léger F., Ruette S., Raton laveur et chien viverrin : le point sur leur répartition en France in Faune sauvage N° 302 \ 1er trimestre 2014

 Croquet V. (ONCF), Les petits carnivores de Bourgogne et Franche-Comté, le Raton laveur

 Wauthy D. , L’Avenir 21 mai 2014 

Heyninck C. [2007]. Quel avenir réserver au raton laveur en Belgique ? Forêt Wallonne 90 : 3-12.

Forum belge sur les espèces invasives sous la coordination d’Etienne Branquart, Vers un plan d’action contre les espèces exotiques envahissantes en Région wallonne, le cas du raton laveur (Procyon lotor)

Crédit photo :

© ABC/Quinn Martin production

© Tambako the Jaguar via Visualhunt.com / CC BY-ND

© Fritz Geller-Grimm (Own work) CC BY-SA 2.5

 © Carsten Volkwein CC BY-SA 2.5, via Wikimedia Commons

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